Attention, cette article date de plus de 10 ans. La classification ainsi que d’autres informations ont pu évoluer.
Les Orchidées, la plus riche des familles de plantes à fleur, présentent de nombreux caractères adaptatifs bien particuliers, résultats d’une longue histoire évolutive. Essayons de voir comment elles se situent dans cette histoire du monde végétal et comment elles se sont diversifiées.
1 – Les grandes lignées d’organismes vivants (hors bactéries)
Pour commencer et replacer les Orchidées dans le monde du vivant, considérons d’abord comment se situent les très grands groupes d’êtres vivants les uns par rapport aux autres.
En simplifiant, les bactéries étant laissées à part, on sait que les organismes cellulaires ont très tôt divergé, en trois directions, l’une vers les protistes, la seconde a donné naissance aux animaux et champignons et la troisième aux végétaux.
Dans ce dernier ensemble les plantes vertes, dans lesquelles se trouvent évidemment les Orchidées, se sont séparées des algues rouges et brunes.
2 – Echelle des temps géologiques
La naissance des Orchidées est précédée d’une très longue histoire puisque on connaît des bactéries photosynthétiques depuis au moins 3,5 milliards d’années.
La séparation des lignées conduisant aux végétaux et aux animaux doit remonter à 1,2 milliard d’années (ère Précambrienne).
Les premières plantes terrestres sont sorties des flots il y a moins de 500 millions d’années en même temps qu’apparaissaient les premiers vertébrés (poissons). Il faudra attendre 150 millions plus tard (Dévonien) pour voir les premiers arbres.
On date la naissance des plantes à fleur au plus tôt à la fin du Trias vers moins 220 millions , avant les dinosaures, mais elles n’ont connu leur plein épanouissement qu’au Crétacé, il y a une centaine de millions d’années, les Orchidées apparaissant probablement vers – 80 millions pour se diversifier pendant l’ère Tertiaire.
Enfin, pour conclure, est apparue une espèce nouvelle, qui joue aujourd’hui un rôle important dans la diversification des Orchidées, l’Orchidophile, mais cela ne date que d’à peine 300 ans.
3 – Silurien 425 MM
Avant d’en arriver à nos plantes préférées, retraçons les grandes étapes de l’évolution végétale qui y ont mené. C’est une très longue histoire de plus de 1,2 milliard d’années (ère Précambrienne).
Une première grande étape est l’installation sur le milieu terrestre, sans doute dans des zones encore très humides, marécageuses.
Cooksonia est l’une des premières plantes terrestres connues qui présente un port dressé.
Elle est constituée de simples axes dichotomes, nus, terminés par des sporanges globuleux. Ses fossiles datent du Silurien (– 425 millions).
Une adaptation importante au milieu terrestre a été la formation de tissus conducteurs (plante vasculaire) qui permet d’amener l’eau dans toutes les parties de la plante. Aglaophyton en est un exemple.
Un point important à noter est l’association de cette plante avec des champignons inclus dans les cellules, cela rappelle exactement les endomycorhizes de certaines des plantes actuelles.
4 – Rhynie
Une autre étape très précoce est l’augmentation de la surface permettant l’assimilation chlorophyllienne. Les tiges d’Asteroxylon, qui atteignait au maximum 40 cm de haut, étaient couvertes par des écailles qui annoncent la feuille.
C’est le tout début de la différenciation de l’appareil végétatif entre une charpente porteuse, conductrice de la sève et un système assimilateur. Asteroxylon ressemble beaucoup à nos Lycopodes actuels. Il a été découvert dans le célèbre gisement Silurien de Rhynie en Ecosse, où les empreintes fossiles sont d’une très grande finesse.
5 – Carbonifère
C’est à l’époque suivante, au Carbonifère, que le développement des tissus ligneux permet aux plantes de prendre de grandes dimensions. Se développent alors des forêts de prêles et de fougères géantes qui peuvent prendre des dimensions comparables à celles de nos arbres actuels. Elles sont à l’origine d’importants dépôts de houille. Ainsi les gisements de fossiles végétaux de cette époque abondent.
Les Calamites ressemblent à nos Prêles, qui en sont les lointaines descendantes, mais avec des dimensions bien réduites.
6 – Vers la graine
On disait du Carbonifère qu’il était l’âge des fougères arborescentes. En réalité la plupart de ces fougères n’en étaient pas. Au lieu de produire de minuscules spores, elles portaient à l’extrémité de leurs frondes de gros ovules, annonçant déjà la graine. D’où leur nom de Ptéridospermes, fougères à graines.
7 – Le Gingko
Le Permien voit l’apparition et la diversification des Gymnospermes. Le Gingko paraît être l’un des plus proches descendants des Ptéridospermes. Ses ovules, nus, sont simplement portés par deux à l’extrémité d’un pédoncule semblable au pétiole des feuilles.
S’il y avait de nombreuses espèces de Gingko à cette époque, il ne nous en reste plus qu’une seule aujourd’hui. Presqu’entièrement disparu à l’état naturel mais très répandu en culture, c’est un véritable fossile vivant.
8 – Le Cycas
Un autre groupe très primitif est celui des Cycas. Petits arbres ressemblant à des palmiers, vivant dans diverses régions tropicales. On peut les comparer à des Ptéridospermes dont les ovules sont portés par un bouquet de feuilles modifiées.
Cycas et Gingko ne produisent pas de véritables graines. Fécondés, les ovules tombent sur le sol avant même que la plantule se soit développée. Aussi on considère parfois que ces plantes ne sont pas de véritables Gymnospermes, on parle de Prégymnospermes (Progymnospermes).
9 – Walchia
Parmi les Gymnospermes du Permien apparaissent aussi des arbres qui, par leurs cônes et leur feuillage, annoncent nos conifères actuels. Tel le Walchia que l’on peut comparer aux Araucarias de l’hémisphère Sud.
Nous avons ici des plantes qui forment de véritables graines qui mûrissent sur l’arbre.
10 – Les premières Angiospermes
Pendant longtemps on a cru que les premières Angiospermes n’étaient apparues qu’à la toute fin du Jurassique ou au début du Crétacé. Certains fossiles récemment découverts semblent les faire remonter jusqu’au Trias, il y a plus de 200 millions d’années donc contemporaines des premiers grands reptiles. Le Sanmiguelia montre en effet de véritables carpelles dans lesquels sont enfermés les ovules.
Ces carpelles possèdent un stigmate sur lequel se déposait le pollen. Celui-ci germe et c’est le tube pollinique qui pénètre dans le carpelle jusqu’aux ovules. Il n’y a plus contact direct entre celui-ci et l’ovule comme c’était le cas chez les plantes précédentes. Mais Sanmiguelia ne peut être rapproché d’aucune Angiosperme actuelle.
Un autre fossile plus jeune de 20 millions d’années (Jurassique) montre aussi une inflorescence femelle portant de nombreux carpelles. Ce Schmeissneria présente une analogie frappante avec certaines Aracées actuelles, tel le Spathiphyllum des fleuristes, même s’il s’agit là aussi d’une plante systématiquement bien différente et qui ne semble pas avoir de descendants actuels.
11 – Evolution des Spermaphytes
Et on est toujours à la recherche du chaînon manquant qui enracinerait les Angiospermes dans un groupe fossile connu.
Un tableau général de l’évolution des Spermaphytes (les plantes à graine) montre que les Angiospermes ont évolué parallèlement à de nombreux groupes de Gymnospermes dont beaucoup ont aujourd’hui entièrement disparu ou sont très réduits.
Mais on ne sait toujours pas dans lequel de ces groupes se situe leur origine.
12 – Phylogénie des Angiospermes
Les études de phylogénie sur les Angiospermes, en particulier grâce à la biologie moléculaire, ont montré que la subdivision classique entre Mono et Dicotylédones était très simplificatrice.
En réalité les Monocotylédones, qui renferment les Orchidées, ne représentent qu’un rameau tardivement détaché de l’ensemble des autres Angiospermes. Tout à fait à part de cet ensemble, le genre Amborella, plante de Nouvelle Calédonie, est le dernier représentant vivant des Angiospermes les plus primitives.
Se détachent ensuite de l’arbre deux ensembles de familles possédant des caractères relativement primitifs, les Paléoherbes (Pipéracées, Nymphéacées…) et les Magnoliidées (Magnolia, Laurier…).
Monocotylédones et le reste des Dicotylédones constituent l’aboutissement actuel de l’évolution.
13 – Amborella
Cet arbuste endémique de la Nouvelle Calédonie est l’Angiosperme actuelle la plus proche des ancêtres de ces plantes. Il se trouve sur un rameau qui s’est séparé des autres Angiospermes il y a 135 millions d’années.
La fleur femelle (fig gauche) possède des carpelles indépendants, imparfaitement fermés. Leur stigmate est foliacé. Les fleurs mâles (fig droite) ont des étamines aplaties (rappel d’une feuille ancestrale) bordées par les sacs polliniques.
Cette plante n’a aucun proche parent dans la nature actuelle.
14 – Evolution phylogénique des Monocotylédones
Si l’on regarde maintenant la place des Orchidées dans l’arbre phylogénique des Monocotylédones, on constate qu’elles se trouvent sur une branche détachée du rameau des Asparagales (Asperge, Narcisse, Jacinthe…) dans une position intermédiaire avec les Liliales (Lys, Tulipe…).
La différence la plus visible entre ces deux groupes concerne la position de l’ovaire, supère chez les Liliales, il est infère chez les Orchidales et les Asparagales.
15 – Age des Orchidées ?
On ne possède aucun fossile certain de fleur pouvant ressembler à une Orchidée.
Cependant on a trouvé récemment, incluse dans de l’ambre de la République Dominicaine, une abeille d’une espèce aujourd’hui éteinte, portant sur son dos un grand nombre de pollinies, provenant d’une Orchidée, qui sont tout à fait analogues à celles de nos plantes modernes, et proviennent probablement d’une espèce de la tribu des Gooderineae.
Cet ambre est âgé de 20 millions d’années ; on ne possède pas de macrorestes indubitables plus vieux, mais les datations par la biologie moléculaire indiquent une origine bien plus ancienne qui se situerait vers la fin du Crétacé, il y a environ 80 millions d’années.
Les Dinosaures ont pu humer le parfum des premières Orchidées !
La diversification de la famille aurait été très active après l’extinction massive de la transition Crétacé – Tertiaire (environ – 60 millions).
16 – Les caractères distinctifs des Orchidées
Quels sont les caractères originaux qui distinguent les Orchidées des Monocotylédones voisines ?
Les plus marquants concernent la structure de la graine, le type de mycorhize et la structure de la fleur.
Les graines sont minuscules, à peine plus grosses que des spores de fougères. De l’ordre d’un millimètre de long, elles possèdent une enveloppe le plus souvent translucide, partiellement remplie par une petite masse sphérique, embryon dont le développement s’est arrêté à un stade précoce. Très légères, elles sont donc très facilement dispersées par le vent.
Cela constitue évidemment une très bonne adaptation à la vie épiphyte puisqu’elles seront facilement emportées vers des supports potentiels.
Il est intéressant de comparer cette graine à celle des autres Angiospermes.
A leur différence, il y a avortement de la double fécondation, l’œuf albumen dont le rôle est d’accumuler des réserves ne se développe pas. L’embryon arrête son développement à un stade très précoce et se présente sous la forme d’une masse cellulaire indifférenciée.
Cette graine, dépourvue de réserves nutritives, est incapable de germer par elle-même, elle est tributaire de l’envahissement par un champignon mycorhizien.
17 – Germination de la graine
En présence d’humidité, la graine se gonfle et peut être alors envahie par les filaments d’un champignon qui lui apporte les éléments nutritifs nécessaires à son développement.
Une véritable plantule, avec bourgeon foliaire et radicelles, se forme, c’est le protocorme. Le champignon s’installe dans ses tissus les plus externes.
Sans la présence du champignon symbiotique, les graines d’Orchidées sont incapables de germer à moins qu’on ne les place sur un milieu nutritif qui remplace les apports du champignon.
18 – Mycorhize
Du protocorme, le champignon passe dans les racines où il persistera pendant toute la vie de la plante.
Il se présente sous la forme de pelotons de mycélium inclus dans les cellules tandis que des filaments sortent de la racine et explorent le milieu extérieur. Ils contribuent ainsi à la nutrition de la plante.
Les pelotons mycéliens les plus internes semblent se dissoudre puis disparaître, c’est qu’ils sont digérés par les cellules qui les contiennent.
Cette mycorhization est très différente de celle des familles de Monocotylédones voisines (ci-dessous, fig droite). Celles-ci ont des endomycorhizes à arbuscules (ci-dessous, fig gauche), identiques à celles qui accompagnent un très grand nombre de plantes depuis leur installation sur la terre ferme (les Gloméromycètes) il y a des centaines de millions d’années.
Celles des Orchidées d’un type très différent sont dues à l’association avec des champignons d’autres groupes beaucoup plus récents, des Basidiomycètes le plus souvent mais aussi quelques Ascomycètes.
Beaucoup d’entre eux, aux fructifications de petite taille, sont des décomposeurs qui vivent dans l’humus ou sur les bois morts.
L’Orchidée récupère ainsi une partie de la nourriture qu’ils puisent sur ces substrats.
19 – Orchidées sans chlorophylle
Un certain nombre d’Orchidées sont dépourvues de chlorophylle, comme le Neottia nidus-avis.
Le plus souvent elles mènent une vie souterraine et ne sont visibles qu’au moment de la floraison. Pour leur nutrition, elles sont entièrement tributaires du champignon mycorhizien. Pendant longtemps, on a même cru qu’elles puisaient directement leur nourriture organique dans l’humus, on les disait saprophytes.
Le phénomène est particulièrement complexe et représente un degré d’évolution supplémentaire. Dans cette symbiose, le champignon associé n’est plus un simple décomposeur, mais une espèce mycorhizienne des arbres forestiers. Il reçoit ainsi de l’arbre les éléments carbonés (sucres) élaborés par celui-ci grâce à la synthèse chlorophyllienne et en transfère une partie à l’Orchidée (Fig. 27). On pourrait parler de ménage à trois !
En fait, tout se passe comme si l’Orchidée était parasite de l’arbre mais par l’intermédiaire du champignon.
20 – La structure de la fleur : Schéma de base
Pour comprendre la structure de la fleur d’Orchidée, il faut partir du modèle de départ qui est celui commun à beaucoup de Monocotylédones.
On peut prendre comme exemple celui du Perce-neige, Galanthus nivalis (Asparagales –Amaryllidacées) : un périanthe sur 2 cercles concentriques avec 3 pièces sur chaque verticille, la différence sépales (externes), pétales (internes) est souvent très faible, on parle alors de tépale.
Deux verticilles de 3 étamines chacun en alternance, et un ovaire de 3 carpelles soudés, ici infère.
21 – Structure de la fleur : les Orchidées.
Une première différentiation concerne les pièces internes du périanthe (les pétales). Le pétale en position supérieure, situé côté tige, prend une forme différente des 2 autres, c’est le labelle. Cela s’accompagne le plus souvent du phénomène de résupination qui fait pivoter la fleur de 180° pour amener le labelle en position antérieure.
A partir du schéma de base, on peut observer 2 directions principales d’évolution.
Dans le premier cas, il ne subsiste qu’une étamine du rang externe et deux du rang interne qui se soudent plus ou moins complètement (Neuwiedia). L’étamine externe est réduite à un staminode stérile chez Apostasia et les Cypripédiées et, dans ce dernier cas, l’ensemble staminal se soude avec le stigmate au sommet du pistil (gynostème).
Dans le 2ème cas, qui concerne toutes les autres Orchidées, il ne subsiste qu’une étamine, l’externe, opposée au labelle. Elle est accompagnée ou non de 2 staminodes du rang interne et soudée au stigmate pour former un gynostème de structure différente de celui des Cypripédiées.
22 – Structure de la fleur : le gynostème
Il est intéressant de suivre l’évolution de la partie fertile de la fleur d’Orchidée.
Dans la sous-famille des Apostasioidae, style et stigmate sont indépendants des étamines, il n’y a pas de gynostème.
Chez les Cypripedioidae, la colonne staminale, portant latéralement les deux étamines fertiles, est soudée à la partie supérieure du gynécée où le stigmate est trilobé, la troisième étamine, stérile (staminode), forme une lame qui recouvre les sacs polliniques.
Chez les autres sous familles, l’étamine, unique est séparée de la partie fonctionnelle des stigmates (cavité stigmatique) par une pièce, le rostellum, qui est l’un des stigmates devenu partiellement ou totalement stérile.
Le pollen est pulvérulent sauf chez les Orchidoidae et les Epidendroidae où les grains sont agglomérés pour constituer les pollinies. Celles-ci sont de texture charnue chez les premières, dure et cornée chez les secondes.
23 – Taille des fleurs
Un des résultats de l’évolution de la fleur se constate dans les variations de tailles des fleurs qui sont considérables, comme chez les Cattleya
et Microterangis hariotiana
24 – Taille des pièces florales
Toujours dans les différences de dimensions, on en constate aussi entre les tailles respectives des pièces florales, en particulier le labelle. Il peut être, de loin, la plus grande des pièces : très étalé chez Rodriguezia decora,
considérablement allongé chez Himantoglossum hircinum
ou, au contraire, devenir minuscule : Masdevallia decumana
25 – Formes de labelle
Ce labelle peut aussi prendre des formes très fantaisistes, très longuement frangé chez Habenaria myriotricha
26 – Taille des pièces florales
Les autres pièces du périanthe peuvent aussi beaucoup varier de forme, comme les pétales latéraux de Paphiopedilum sanderianum qui se sont démesurément allongés.
27 – La pollinisation
Un aspect remarquable de l’évolution des orchidées est celui des mécanismes de pollinisation.
Le plus souvent effectuée par des insectes, elle a donné lieu à des co-adaptations souvent très spécifiques ; une espèce d’orchidée donnée est pollinisée par une espèce d’insecte spécifique. Les phénomènes de mimétisme ont joué un grand rôle dans des mécanismes d’attraction nutritionnelle ou sexuelle par signaux olfactifs et visuels.
Il faut rappeler à ce sujet que Darwin en 1862 a consacré un ouvrage aux ” Inventions des Orchidées ” pour être fertilisées par les insectes. Plusieurs cas lui servent d’arguments pour illustrer ses vues sur l’évolution par sélection naturelle.
28 – Attraction alimentaire
Le cas le plus simple, qui ne diffère pas de celui de beaucoup d’autres plantes, est une attraction nutritive par la production de nectar.
Mais, même dans ce cas, les Orchidées présentent des exemples d’évolution extrême avec Angraecum sesquipedale de Madagascar aux éperons de longueur démesurée.
Cela avait amené Darwin à prédire l’existence d’un papillon qui aurait une trompe tout aussi démesurée. Ce papillon existe en effet, sa trompe a plus de 20cm de long, mais il n’a été découvert que 40 ans plus tard.
L’hypothèse donnée est que pour l’Orchidée, l’allongement de l’éperon oblige le papillon à plonger dans la fleur d’où un contact des pollinies mieux assuré ; pour le papillon, une trompe plus longue lui permet de pomper davantage de nectar.
29 – Mimétisme
L’attraction alimentaire peut s’accompagner de mimétisme où l’Orchidée ressemble à des plantes très mellifères comme pour l’ Orchis globuleux : Traunsteinera globosa dont l’inflorescence mime le trèfle des champs : Trifolium pratense, au voisinage duquel elle se trouve souvent.
30 – Leurre alimentaire
Encore un leurre alimentaire, avec les ponctuations noires sur les sépales, du Paphiopedilum sukhakulii. Elles attirent des mouches Syrphides qui croient y voir des pucerons, les proies habituelles de leurs larves.
31 – Leurre sexuel
Le système d’attraction sans doute le plus répandu est celui du leurre sexuel. Il s’est, en particulier, bien diversifié dans le genre Ophrys, aboutissant à des co-adaptations très poussées.
L’insecte mâle est attiré d’abord, à distance, par la diffusion de signaux olfactifs identiques aux phéromones femelles de l’espèce associée. La ressemblance du labelle avec le corps de cette femelle complète l’attraction à courte distance.
Ce type d’attraction est aussi spectaculairement illustré chez une espèce australienne de Chiloglottis où une excroissance de labelle mime tout à fait le corps d’une femelle, aptère, de la guêpe Neozeleboria.
Celle-ci, pour être fécondée grimpe à l’extrémité de brindilles. L’imitation par l’Orchidée est suffisamment exacte pour attirer les mâles qui assurent ainsi la pollinisation.
32 – Projection des pollinies
Le chargement des pollinies sur le corps de l’insecte visiteur peut aussi se faire par projection.
Darwin avait déjà étudié le cas des fleurs mâles de Catasetum. Une pression légère sur les longues expansions du gynostème (rostellum) libère les caudicules, élastiques, repliés sur eux-mêmes. Les caudicules se détendent brutalement et projettent les pollinies sur le dos de l’insecte visiteur. La détente est suffisamment brutale pour expédier les pollinies jusqu’à un mètre.
33 – Tectonique des plaques
Pour bien comprendre l’évolution des plantes, il est important de connaître aussi les transformations géologiques qui se sont déroulées pendant cette évolution. Elle a commencé pendant le Jurassique alors que les 2 super-continents, Gondwana au Sud et Laurasie au Nord, commencent à se disloquer, que l’Inde se sépare de l’Afrique et commence sa migration vers le Nord.
On comprend pourquoi les Orchidées, qui ont commencé leur différenciation peu après, soient présentes sur tous les continents à l’exception des zones désertiques sèches ou froides.
34 – Un exemple très illustratif : Le genre Bulbophyllum
C’est le plus important des genres pantropicaux (plus de 2000 espèces).
Les ancêtres de nos espèces actuelles ont dû commencer à se différencier avant l’éclatement total du Gondwana, dans un espace qui serait représenté par l’Amazonie et le Congo actuels, avant l’ouverture de l’Atlantique Sud. De là, des lignées sont allées s’installer à Madagascar et sur le sub-continent indien avec lequel elles ont dérivé pour coloniser le Sud et le Sud-Est de l’Asie, puis les îles indonésiennes et jusque dans le Nord de l’Australie et quelques îles du Pacifique.
On peut donc considérer trois grandes zones de diversification où les Bulbophyllum ont évolué plus ou moins parallèlement.
Ainsi on trouve aujourd’hui des Bulbophyllum dans la plupart des régions tropicales depuis la côte ouest de l’Amérique du Sud jusqu’en Nouvelle Calédonie.
On peut essayer de suivre quelques unes des directions d’évolution suivies par ces plantes et qui se sont diversifiées parallèlement dans leurs diverses régions d’habitat.
Commençons par les inflorescences. Le type de base pourrait être un épi assez lâche avec de nombreuses petites fleurs. On le rencontre chez des espèces des trois continents : Amérique (Bulbophyllum warmingianum), Afrique (Bulbophyllum nigritianum), Asie (Bulbophyllum intricatum).
A partir de ce type on trouve une tendance à la densification puis au regroupement au bout d’un long pédoncule qui s’observe par exemple chez Bulbophyllum careyanum (Himalaya) mais aussi en Afrique avec Bulbophyllum comatum, en Malaisie avec Bulbophyllum singaporeanum ou en Australie avec Bulbophyllum evasum
Ce regroupement peut se limiter à quelques fleurs en ombelle à la toute extrémité du pédoncule : Bulbophyllum odoratissimum
et finalement dans une disposition rayonnante, souvent dissymétrique, pour laquelle on a créé le sous-genre Cirrhopetalum.
Une tendance inverse est la diminution du nombre de fleurs qui nous amène à des inflorescences uniflores, plus ou moins longuement pédonculée, Bulbophyllum dearei (section Sestochilus, Indonésie) ou Bulbophyllum putidum (s.-g. Cirrhopetalum Thaïlande)
Ce pédoncule peut se raccourcir jusqu’à faire apparaître la fleur presque sessile, Bulbophyllum cheiropetalum (Malaisie, Indonésie).
A noter les cas particuliers de la transformation de l’axe de l’inflorescence par épaississement et aplatissement et cela aussi bien chez des espèces africaines ( Bulbophyllum falcatum ) que asiatiques ( Bulbophyllum saurocephalum – Philippines) ou sud-américaine (Bulbophyllum bracteolatum)
Une autre tendance évolutive facile à suivre est celle concernant l’allongement des pièces florales, en particulier des sépales. On part de formes où ces pièces sont courtes et ceci dans plusieurs sections comme sur des photos précédentes, Bulbophyllum singaporeanum, Bulbophyllum falcatum mais aussi comme Bulbophyllum pustulatum.
Quelques photos précédentes montrent un début d’allongement de ces pièces, Bulbophyllum dearei, Bulbophyllum nigritianum, Bulbophyllum odoratissimum. C’est également net chez Bulbophyllum lobii (sect. Sestochilos, Indonésie, Malaisie). Cela s’accentue nettement chez Bulbophyllum elisae (sect. Adelopetalum, Australie), et encore plus pour Bulbophyllum nitidum (sect. Codonosiphon, Nlle Guinée) ou Bulbophyllum disjunctum (sect. Altisceptum, Bornéo).
Et peut donner des formes tout à fait curieuses dans la section Hyalosema : Bulbophyllum longisepalum.
La même tendance à l’allongement des sépales se retrouve dans le sous-genre Cirrhopetalum, en partant de formes à sépales courts (Bulbophyllum auratum, sud-est asiatique) en passant par des formes intermédiaires Bulbophyllum makoianum (Malaisie), Bulbophyllum rotschildianum (Himalaya) on arrive jusqu’à l’extraordinaire Bulbophyllum medusae (Thaïlande, Indonésie).
Synthèse
Le tableau suivant résume ce que nous venons de voir dans le genre Bulbophyllum, c’est-à-dire l’illustration de quelques unes des séries évolutives concernant l’inflorescence et la fleur. Mais attention, il ne faut pas le considérer comme un tableau phylogénétique, les formes représentées ne dérivent pas les unes des autres. Ce qui est montré c’est qu’il existait chez l’ancêtre des Bulbophyllum une série de gènes qui ont évolué parallèlement dans les diverses lignées qui se sont séparées au cours du temps. On aurait pu prendre d’autres exemples encore, pour montrer la diversification foisonnante de ce genre.
Ecrit par Guy Durrieu, Professeur émérite de l’Université Paul Sabatier de Toulouse